Publiée le 10 février 2023

Actualité

Doc du mois de février : règlement de Mrs les Intéressés du marais

Les terres asséchées des marais ont vu de nouveaux habitants investir les digues dont des populations précaires appelées les "hutiers" en raison de leurs habitations nommées les huttes, sortes de cabanes.

© ADCM 31ETP

Règlement de Mrs les Intéressés du marais de Taugon, La Ronde, Choupeau & Benon (..) à leurs Hutiers ou Gardes-ceintures (...).

L’histoire des dessèchements du Marais poitevin aux XVIIe et XVIIIe siècles est faite de réussites techniques, d’espoirs déçus, de succès réels et de querelles interminables.
Yannis SUIRE, « Succès et échecs des dessèchements du Marais poitevin aux XVIIe et XVIIIe siècles », Aux rives de l’incertain. Histoire et représentation des marais occidentaux du Moyen-Age à nos jours. 2002, p. 220 à 224. (ADCM, MF 1034).

Des terres prises à l’eau

A la sortie des guerres de religions (1598), l’ancien souhait d’entreprendre de grands travaux de dessèchement du marais poitevin reprend forme. L'objectif est de gagner de nouvelles terres agricoles, particulièrement fertiles, à proximité de places commerciales actives : Marans, Fontenay-le-Comte, Niort et La Rochelle.
Considérant à la fois ses intérêts militaires, sanitaires, démographiques et économiques, le pouvoir royal encourage ce mouvement en facilitant les initiatives de dessèchements, notamment du point de vue fiscal et juridique. Confiants dans le savoir-faire requis des Hollandais (des Protestants que le règne d’Henri IV rassure, comme l’ingénieur Bradley), des investisseurs se manifestent, tel le financier-diplomate Hoeufft. Les rejoignent bientôt des aventuriers habitués aux "placements à risques" (le commerce transatlantique par exemple). Les moyens à mettre en œuvre impliquent des associations de circonstance et d’intérêt !
Les difficultés ne tardent pas. Bradley lui-même se heurte à des problèmes techniques, à la méfiance endémique du voisinage, à l’assassinat d’Henri IV. Il se retire en situation d’échec.
Le pouvoir royal confirmant son dessein, de nouveaux investisseurs français se présentent. Une déclaration du 4 mai 1641 rétablit le monopole de Bradley au profit d’un rochelais, Pierre Siette ingénieur et géomètre du Roi, qui crée la première société du marais poitevin dite du Petit Poitou.
Le jeu des alliances et des défiances conduit à la création de plusieurs autres sociétés. Les accords et les sous-associations s’apparentent rapidement à un système d’actionnariat dont bénéficie une petite poignée d’« intéressés ».
Les sociétés des marais desséchés reposent sur des statuts dont les contenus varient peu. Ils fixent les principes de leur fonctionnement (modalités des travaux, gestion des ouvrages réalisés), encadrent et règlent la vie quotidienne des maraîchins. Ce règlement, décidé et publié vers 1770, est issu du fonds du Syndicat des marais de Taugon – La Ronde, aujourd’hui conservé sous la cote 31 ETP aux Archives départementales de la Charente-Maritime.
 

Illustration : Fonds du Syndicat des marais de Taugon – La Ronde, Archives départementales de la Charente-Maritime, 31 ETP.

Des marais habités

Sur les terres asséchées, les nouvelles exploitations sont appelées "cabanes" ; des paysans y sont rapidement installés par les propriétaires, les "cabaniers". La nature se rappelle régulièrement aux hommes (inondations dévastatrices). Dans cette situation, des sociétés sombrent dans une crise de confiance, financière et institutionnelle. Les procès se multiplient entre dirigeants, sociétaires paniqués (voire ruinés), habitants…
Au XVIIIe siècle, pourtant, les travaux continuent, soutenus par un contexte économique et intellectuel favorable. Les terres ont la réputation d’être particulièrement bonnes, elles attirent les nouveaux dessiccateurs, voisins, enrichis dans le commerce et les offices. Quelques "cabaniers" parviennent même à en tirer suffisamment de profits pour s’élever socialement en devenant propriétaire.
Dans un environnement juridique complexe, les motifs de tensions restent toutefois nombreux : entre les différentes sociétés, avec les communautés villageoises (notamment entre le marais desséché et le marais mouillé) et entre usagers, gardes, etc.
Dès le début des dessèchements, les digues sont aussi investies illégalement par une population précaire dont la seule richesse consiste en quelques hardes et ustensiles, parfois un maigre cheptel et surtout des matériaux disparates qui fournissent la base de leur abri, la "hutte".
Dans un premier temps, les Sociétés de marais trouvent une utilité à cet imprévu : c’est un moyen facile et immédiat pour surveiller les digues. Mais à la fin du XVIIe siècle, face à leur nombre grandissant, les Sociétés se ravisent et ordonnent la destruction des huttes. Les constructions clandestines de hères attendant une moindre misère des ressources du marais, ne diminuent en rien.
Les sociétés décident alors (mi XVIIIe siècle) de "légaliser" ces installations pour en limiter le nombre, contrôler leur implantation, règlementer l’activité des huttiers.
La question revêt un telle importance qu’une simple note manuscrite ne semble suffire, on y préfère un document très élaboré et imprimé, tel celui présenté ici. La forme imprimée est également choisie pour permettre une diffusion à toutes les parties intéressées et donc limiter les contestations.

En ce moment :

Dernier mois pour profiter de l’exposition Eau d’ici et eau de là… à la découverte de l’eau douce en Charente-Maritime
Aux Archives départementales de la Charente-Maritime à La Rochelle
Jusqu’au 3 mars 2023
Du lundi au vendredi, 9h-12h30 et 13h30-17h30
Entrée libre et gratuite