Publiée le 10 mai 2022

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Doc du mois de mai : compte d’armement d’un navire négrier, le Neptune

Ce document permet de se faire une 1ère idée du fonctionnement économique des trajets et alliances pour le négoce. Associé à d’autres fonds d’archives ils permettent aux historiens d'étudier les associations entre familles de négociants et armateurs rochelais.

La dernière acquisition effectuée par les Archives départementales de la Charente-Maritime, avec le soutien du ministère de la Culture, est le compte d’armement du navire le Neptune pour "la traite des noirs à la côte d’Angole", capitaine Rodrigue, armateurs Étienne-Isaac et Jacques Rasteau frères.

Compte-rendu aux intéressés et facture des marchandises

Le navire est armé le 21 septembre 1790 pour se rendre sur la "côte d’Angole", l’une des plus importantes zones de traite négrière en Afrique (actuelle Angola, au sud du fleuve Zaïre, et au Nord, les anciens royaumes du Congo).
Le manuscrit, daté du 16 janvier 1791, récapitule le compte d’armement du navire, c’est-à-dire les frais d’armement y compris les vivres, les achats de "pacotilles" destinées à être échangées contre les esclaves et les assurances engagées.

Parmi les nombreuses marchandises, on trouve des couverts, des couteaux, des fusils, des pierres à fusils, des sabres, des barres de fer, de l’eau-de-vie, des draps, des chapeaux, des mouchoirs et diverses quincailleries. On remarque, en tête de liste, des pièces de textiles aux noms exotiques mais bien fabriquées en France dès le XVIIIe siècle : Guinée, Indiennes, Liménéas, Chasselas, Bajutapeaux, Neganépeaux, etc.
Les sommes investies s’élèvent à 199 689 livres pour la cargaison et 64 459 livres pour l’armement. Les assurances représentent 268 906 livres. La cargaison est assurée de La Rochelle à Angole puis pour Saint-Domingue.

Le navire a été acheté à Demissy, probablement Samuel Demissy (ou de Missy). L’un des investisseurs est Louis Admyrauld. Apparaissent également les noms de quelques fournisseurs des marchandises et des vivres comme Paronneau, Brissonneau, Gazeau (volaille, lard et autres salaisons), Garesché (bœufs) et Seignette (sel).

Ce déchiffrage rapide permet de se faire une première idée du fonctionnement économique de ces trajets. Il permet aussi de comprendre certaines alliances pour le négoce. C’est en étudiant ce type de document et en les rapprochant d’autres fonds d’archives (fonds notariaux ou fonds de l’Amirauté) que les historiens peuvent étudier les associations entre familles de négociants et d’armateurs rochelais.

Les Rasteau, une famille de négociants transatlantiques

Étienne-Isaac Rasteau (1757 - ?) et Jacques Rasteau (1758 - ?) sont associés. Ils sont les petits-fils de Jacques Rasteau (1680-1756), capitaine de navire, négociant et armateur pour les Amériques (Nouvelle-France, Saint-Domingue), les pays du Nord de l’Europe et les côtes africaines pour la traite.
Les deux frères arment plusieurs navires entre 1779 et 1790 pour la Guinée, le Sénégal et Saint-Domingue : la Mélanie, la Félicité, la Bien-Aimée, l’Amitié, le Cerf-Volant, la Belle-Reine et le Neptune.
Ils appartiennent à "une dynastie négociante protestante tenant les rênes du commerce négrier rochelais pendant presque un siècle" (Brice Martinetti, 2013).
Au moment de la révolte des esclaves à Saint-Domingue (août 1791), Étienne-Isaac Rasteau est envoyé avec Louis Admyrauld à Paris, fin 1791, pour défendre les intérêts du négoce rochelais avec les îles à sucre. Cette tentative est un échec, les nombreuses pertes s’enchaînent.
Après 1792 et l’effondrement de l’économie de la traite, les historiens perdent la trace de Jacques Rasteau. Étienne-Isaac, quant à lui, semble cesser son activité de négociant et se consacre à ses charges officielles (notamment président du tribunal de commerce entre 1814 et 1815).

Le compte d’armement du Neptune est aujourd’hui conservé aux Archives départementales sous la cote 4 J 5119. Il vient plus spécifiquement compléter les fonds liés à l’histoire de la traite et peut désormais être mis à disposition des chercheurs pour servir l’histoire.

Pour aller plus loin :

  • Mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions
  • Brice Martinetti, Les négociants de La Rochelle au XVIIIe siècle. Presses Universitaires de Rennes, 2013.
  • Un commerce pour gens ordinaires ? La Rochelle et la traite négrière au XVIIIe siècle, catalogue de l’exposition des Archives départementales de la Charente-Maritime, 10 mai – 31 décembre 2010.

Le compte d’armement d’un navire négrier, le Neptune